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« Frugidigitalité » ou pourquoi il faut alléger la chaîne digitale…

Je ne suis pas digital native, mais à 46 ans j’ai passé plus de 24 ans connecté et au moins 20 ans à promouvoir, concevoir et vendre des solutions numériques.

Expert, évangéliste, consultant ou startupper, j’ai vécu et je vis encore du numérique et par le numérique. Et aujourd’hui, je vais vous parler de « frugidigitalité ».

Il y a de la frugalité dans l’air ! 

Débordant de l’alimentation, son espace d’origine, la frugalité questionne toutes nos pratiques. Parmi celles-ci, le recours exacerbé au numérique fait l’objet d’un questionnement appuyé. 

Nous sommes nombreux à être sensibilisés au fait que les pages web ont “pris du poids” en 20 ans (avec souvent un temps de chargement qui rappelle les premières années du web), et à avoir lu les analyses d’experts sur le volume de consommation de ressources significatif lié par exemple à l’envoi d’un simple mail (le numérique pèse près de 3% de la consommation d’énergie mondiale).

A titre individuel, il nous revient de faire mieux : optimiser l’utilisation des ressources numériques, supprimer nos mails inutiles, modérer nos usage des réseaux sociaux, éduquer nos enfants à un usage mesuré du digital, mais aussi ralentir le renouvellement prématuré de nos devices…

La frugalité c’est ambitieux ! C’est vouloir faire plus avec moins, c’est viser le minimum à consommer car les ressources sont rares.

Longtemps on a imaginé Internet comme un puits sans fond, une ressource sans limite, on négligeait totalement l’énergie et les ressources humaines qui s’y consumaient (un peu comme la façon dont nous avons longtemps traité les océans). Bien sûr, un mail gâchera moins de papier qu’un courrier postal, mais qu’en est-il du vrai bilan énergétique ? Ce même mail peut parfois générer des centaines de milliards d’envois et ainsi alourdir significativement la facture électrique, calorifique et la consommation de temps d’attention. 

Cette dernière ressource – le temps disponible efficace d’un être humain – est particulièrement sensible dans le domaine professionnel. Elle est à l’origine de la création de valeur pour l’entreprise mais aussi pour l’individu qui y projette le sens de sa vie. De l’entrepreneur à la mère de famille, qui peut ignorer la valeur de son temps. 

Garder le numérique dans une position de serviteur

Je n’ai pas l’intention de minimiser le bénéfice incontestable qu’apportent de nombreuses chaînes de dématérialisation, mais résistons à l’idée que le numérique puisse se suffire à lui-même. Seul l’usage est une fin, le numérique n’est qu’un outil. Il est au service d’une intention, il n’est pas l’intention elle-même. 

Un processus mal pensé à l’origine n’est pas plus vaillant une fois numérisé, quelque soit la qualité graphique des pages web qui le matérialise.

Une communauté dont on n’a pas pris la peine de déterminer les motifs de collaboration ne sera pas plus soudée une fois numérisée, et même probablement moins.

Il est d’autant plus important d’y être vigilant que l’omniprésence du numérique génère paradoxalement non seulement une addiction mais aussi une lassitude des destinataires, clients et utilisateurs.

La crise de foie digitale

On ne mesure plus les dégâts causés par la surabondance de la “matière digitale” dans les projets de transformation des organisations : de l’ERP défaillant qui entraîne dans son gouffre vorace les équipes, aux plateformes mal pensées qui dépriment les utilisateurs dans des tunnels de vente forcée. 

Combien d’heures passées à comprendre les interfaces et combien de cerveaux lobotomisés incapable de se rappeler comment on faisait avant ? Les collaborateurs se sentent peu à peu devenir inutiles et abattus par la complexité et l’évolution sans cesse plus rapide des usages. Tel un écolier qui ne sait plus compter sans calculatrice, le collaborateur ne saurait plus penser hors du numérique. Dernier exemple, issu du confinement : avez-vous pu mesurer un gain de temps et d’efficacité des réunions en visio ? Et le niveau de frustration associé ?

Comment devenir frugidigital ? 

Je crois profondément en la frugalité numérique. Les projets lourds sont d’un autre temps et ont déjà fait payer leur tribut. En s’appuyant sur cette expérience partagée par de plus en plus de décideurs, il devient plus facile d’encourager des méthodologies de design qui impliquent plus l’humain et les utilisateurs, que seulement les technologies. 

Mon rôle de conseil est de recommander à mes clients d’intercaler une phase de design avant la mise en œuvre de toute chaîne digitale. Les approches “design to cost” et “design to value” permettent de réduire au maximum la surconsommation d’un projet numérique. Le recours à des API open sources permet souvent de prototyper et même de répondre durablement au projet à moindre coût et moindre effort. Le choix de développeurs qui valorisent une démarche responsable dans le code vient compléter un travail de conception optimisé. 

L’implication des collaborateurs en amont est essentielle. Elle garantit en aval la bonne exécution… dernier maillon de la chaîne de frugalité : c’est utile parce que l’on s’en sert !

Pour conclure en 5 phrases : 

  • Réduire la facture numérique en adoptant une démarche frugale,
  • Être sensibilisé au bilan en temps autant qu’au bilan énergétique des projets,
  • Alléger les projets par des méthodes qui partent de l’usage (design), 
  • Impliquer les collaborateurs et les usagers dans la conception,
  • Intégrer des équipes de développeurs sensibilisés à l’éco-design

Hubert Van Cappel